Magnifique texte de Jean Elie en 1901, qui s'interroge sur la pertinence de faire des cultures intercalaires dans les vignes à l'heure de la mévente des vins. A méditer en cette période de crise des vins de Bordeaux. Est-ce que la solution ne passerait pas par un retour à la polyculture ? Merci Michel Elie pour nous avoir partagé ce texte. --- CAUSERIE VITICOLE Cultures intercalaires dans les vignes. Les cultures intercalaires dans les vignes peuvent-elles donner partout des bénéfices ? Voilà une question qui m'a été posée par plusieurs viticulteurs. Je réponds non. Dans les vignes de grands crus où les prix des vins sont élevés, dans celles plantées en terrains maigres ou accidentés, en pentes, les cultures intercalaires ne donneraient que des pertes, mais dans tous les autres terrains oủ la vigne ne donne pas un rendement moyen d'au moins 60 hectolitres à l’hectare, il y a tout intérêt à éclaircir les rangs pour faire des cultures intercalaires. Pour établir les avantages de ces cultures, il faut prendre pour base un hectare de vigne. Les cultures et l'entretien de cet hectare de vigne coûtent environ 6oo fr par an, el si son rendement n'est que de 60 hectolitres et que le prix du vin ne soit que de 15 fr l'hectolitre, ce qui fait pourtant 900 fr, cet hectare de vigne ne peut donner de bénéfices, car les 3oo fr sont absorbés par les frais de vendange, de vinification, de soins des vins et tous autres qui lui font cortège jusqu'à ce qu'il soit dans les chais de l'acheteur. Si l'on arrachait dans cet hectare de vigne, la moitié des rangs, c'est-à-dire un rang sur deux, on n’y ferait évidemment que moitié frais, c'est-à-dire 3oo fr. au lieu de 6oo, et ainsi dégagés par la disparition de leurs voisins, donneraient presqu'autant de vin ; que les récoltes intercalaires, bien comprises et bien faites, paieraient une bonne partie des frais culturaux de la vigne. Ces cultures mixtes étaient autrefois pratiquées dans toutes les propriétés de notre région, et c'est avec ces cultures que nos pères ont gagné de l'argent, quoique ayant subi, eux aussi, des crises de toutes sortes : maladies des vignes, avilissement des prix et mévente de leurs vins. Leurs vignes étaient plantées à inter- lignes suffisamment larges pour permettre toutes les cultures intercalaires, cultures que faisaient à compte à demi les vignerons des grands propričtaires, et le revenu de ces cultures, qui était net pour eux, payait le prix-fait da vigneron, c'est-à-dire les frais de culture de la vigne. ll nous faudra forcément revenir à ce système de cultures mixtes; ce sera peut-être là le salut des propriétaires; il est donc bon de l'étudier de près et nous y reviendrons. LE VIGNERON DE CÔTES ET DE PALUS. En Blayais, ce 24 novembre 1901
Magnifique texte de Jean Elie en 1901, qui s'interroge sur la pertinence de faire des cultures intercalaires dans les vignes à l'heure de la mévente des vins. A méditer en cette période de crise des vins de Bordeaux. Est-ce que la solution ne passerait pas par un retour à la polyculture ? Merci Michel Elie pour nous avoir partagé ce texte. --- CAUSERIE VITICOLE Cultures intercalaires dans les vignes. Les cultures intercalaires dans les vignes peuvent-elles donner partout des bénéfices ? Voilà une question qui m'a été posée par plusieurs viticulteurs. Je réponds non. Dans les vignes de grands crus où les prix des vins sont élevés, dans celles plantées en terrains maigres ou accidentés, en pentes, les cultures intercalaires ne donneraient que des pertes, mais dans tous les autres terrains oủ la vigne ne donne pas un rendement moyen d'au moins 60 hectolitres à l’hectare, il y a tout intérêt à éclaircir les rangs pour faire des cultures intercalaires. Pour établir les avantages de ces cultures, il faut prendre pour base un hectare de vigne. Les cultures et l'entretien de cet hectare de vigne coûtent environ 6oo fr par an, el si son rendement n'est que de 60 hectolitres et que le prix du vin ne soit que de 15 fr l'hectolitre, ce qui fait pourtant 900 fr, cet hectare de vigne ne peut donner de bénéfices, car les 3oo fr sont absorbés par les frais de vendange, de vinification, de soins des vins et tous autres qui lui font cortège jusqu'à ce qu'il soit dans les chais de l'acheteur. Si l'on arrachait dans cet hectare de vigne, la moitié des rangs, c'est-à-dire un rang sur deux, on n’y ferait évidemment que moitié frais, c'est-à-dire 3oo fr. au lieu de 6oo, et ainsi dégagés par la disparition de leurs voisins, donneraient presqu'autant de vin ; que les récoltes intercalaires, bien comprises et bien faites, paieraient une bonne partie des frais culturaux de la vigne. Ces cultures mixtes étaient autrefois pratiquées dans toutes les propriétés de notre région, et c'est avec ces cultures que nos pères ont gagné de l'argent, quoique ayant subi, eux aussi, des crises de toutes sortes : maladies des vignes, avilissement des prix et mévente de leurs vins. Leurs vignes étaient plantées à inter- lignes suffisamment larges pour permettre toutes les cultures intercalaires, cultures que faisaient à compte à demi les vignerons des grands propričtaires, et le revenu de ces cultures, qui était net pour eux, payait le prix-fait da vigneron, c'est-à-dire les frais de culture de la vigne. ll nous faudra forcément revenir à ce système de cultures mixtes; ce sera peut-être là le salut des propriétaires; il est donc bon de l'étudier de près et nous y reviendrons. LE VIGNERON DE CÔTES ET DE PALUS. En Blayais, ce 24 novembre 1901